« Un mandarin partit un jour dans l’au-delà. Il arriva d’abord en enfer. Il y vit beaucoup d’hommes attablés devant des plats de riz ; mais tous mourraient de faim, car ils avaient des baguettes longues de deux mètres et ne pouvaient s’en servir pour se nourrir. Puis il alla au ciel. Là aussi il vit beaucoup d’hommes attablés devant des plats de riz ; et tous étaient heureux et en bonne santé, car eux aussi avaient des baguettes longues de deux mètres, mais chacun s’en servait pour nourrir celui qui était assis en face de lui ». Ce conte chinois avait inspiré mon discours de vœux de maire en 2003. Oui, je sais ! Présenter des vœux publics sur le thème de l’enfer et du paradis était un peu osé pour la laïcité et aurait pu me mériter quelques coups de baguette républicaine ! J’aurais pu simplifier le propos en suggérant qu’ils mangeassent le riz à la petite cuillère ; mais dans le public, un rigolo de service, m’aurait lancé sa question de mauvais goût : « pourquoi l’oncle Ben’s est noir quand le riz est asiatique » ? Affirmer qu’il y a du riz en enfer autant qu’au paradis aurait relevé de la provocation : ceux qui travaillent dans les champs de riz voient peu le paradis, au moment où ceux qui en mangent trop vomissent l’enfer. Quant à nous faire le coup de la possibilité d’être heureux et en bonne santé en utilisant la baguette trop longue pour soi, pour nourrir celui d’en face, à deux mètres… alors là, on ne riz plus ! … Ce n’est qu’un conte après tout !
Photo : fou de Bassan, Écosse © Samuel Blanc