Je vois que vous souriez !… Me dit la personne assise en face de moi, apparemment surprise ! Du coup, la conversation s’engage, discrète dans cette rame du tramway. Une vingtaine de personnes alentour. Certains dorment : on leur excusera leur nuit courte ou leur retour du boulot ! Beaucoup sont au téléphone, accessoire pratique pour téléphoner comme chacun sait ! Incontournable, pour rester connecté comme beaucoup le prétendent sans jamais pouvoir préciser à quoi. Un autre passager esquive mon regard : le sourire serait une arme qui rend suspect. Plus loin, un visage triste, figé sur un ennui ou une bien mauvaise nouvelle. Beaucoup d’écouteurs ont gagné les oreilles, comme autant de zone de cessez le feu pour tenter d’avoir la paix.
Il est vrai que l’ambiance ne porte pas au sourire. L’actualité est d’une tristesse à ne même plus faire grimper la courbe des records d’audience, sinon celle des anxiolytiques.
Il est vrai que les ennuis, les drames personnels ont de quoi figer nos visages et rendre difficile l’esquisse d’un sourire impensable.
Il est vrai que « le sujet doit adopter une expression neutre et ne doit pas sourire » rappelle la circulaire cadrant la photo affreuse de nos papiers d’identité.
Il est vrai que dans un lieu public le suspect est celui qui vous regarde ; l’épouvantail celui qui a les yeux rouges de tristesse ; l’interrogation celui qui dort ou tend la main sur le trottoir.
Le prochain arrêt est annoncé. Ma voisine d’un instant, descend du tram en prenant le soin de me saluer. Mon arrêt est le suivant, mais je descends : histoire de vérifier qu’elle sourit toujours, en s’éloignant.
La journée sera bonne.

Photo : macareux moine en Écosse © Samuel Blanc