Vautré sous mon lavabo qui fuit, en train de me faire un joint, quand sonne le téléphone. Au mauvais moment. Toujours quand vous êtes en pleine sieste, au milieu du repas, au milieu de la tarte aux myrtilles ou au sommet de votre escabeau branlant comme tous les escabeaux qui se respectent.

Elle dit se prénommer Sylviane. Elle sait tout de moi : septantagénère, inactif, le nom de mon dentiste, le taux de ma mutuelle… Elle me trouve sympathique, au point de m’offrir un cadeau sans engagement de ma part. Je me dis qu’un cadeau sans engagement de ma part, n’est qu’un cadeau au mauvais moment ! Elle m’apprend que la reconduction provisoire du crédit d’impôt m’autorise à investir dans les économies d’énergie, -à moins que ce ne fut l’inverse !- dans le triple vitrage, la chaudière à condensation, l’isolation des combles, le comble de l’isolation… Elle m’apprend que le cours du lingotin chute, que Gégé le ministre de l’intérieur se fait la malle pour Lyon… Au mauvais moment !

De bonne humeur, j’essaie de mettre un terme à son monologue en lui faisant part de toute mon empathie. Pauvre Sylviane ! Elle va passer sa journée de galère, payée à coups de lance-pierre par un esclavagiste de plateforme téléphonique à bas coûts, à se faire engueuler par ceux qu’elles dérangent toujours… Au mauvais moment.

A la radio, j’apprends qu’il y a quarante ans que Jacques Brel nous a quitté et que Charles Aznavour s’en est allé… Je me voyais déjà… La mamma… Comme ils disent… La bohème… Emmenez-moi… Au mauvais moment.

Photo : morse en péninsule de Taimyr (Russie) © Samuel Blanc