Soixante ans après, je me demande encore quelle mouche avait piqué notre prof de français, grand montagnard devant l’Éternel, d’embarquer là-haut les 37 élèves en culottes courtes, de sa classe de cinquième. Il fait pourtant froid, en ce premier mai 56, au col de La Placette ; le sentier devient glacé dès le passage des Trois Fontaines. Dites-moi ! C’est encore loin la Grande Sure ? Et les choses se sont gâtées dans le Pas de la Miséricorde. Les randonneurs de Chartreuse, même les moins miséricordieux me pardonneront ! Dût-il nous mener au sommet, le Pas de la Miséricorde, n’est pas facile et du genre vertigineux. Miséricorde ou Corde de misère ? Toujours est-il que, miséricordieusement tremblants, nous voilà passés !
La miséricorde ? me dit un jour un moine trappiste, je m’assois dessus…Et de joindre le geste à la parole. Un brin iconoclaste le cistercien ! Pas gêné de faire passer à la trappe cette console –alias une miséricorde- placée sous le siège relevable d’une stalle. Console qui sert, une fois relevée justement, à poser les fesses dessus : tout le monde croit alors que vous êtes debout. Et dans sa grande miséricorde, Dieu n’y voit apparemment que du feu !
J’ai encore aujourd’hui le vertige au passage de la Miséricorde. Un brin humilié même, lorsque souffle court, estomac noué, jambes tremblantes, je me fais doubler et déposer par une bande de joyeux drilles au regard condescendant…
Mais j’ai ma petite revanche personnelle ! Il est écrit au Livre que, dans sa miséricorde, il y en a Un là-haut qui accueille plus joyeusement un mec qui a le vertige que 99 frimeurs qui se la pètent …
Photo : renard arctique aux île Kouriles © Samuel Blanc
Bien sympathique, pour commencer la journée dans la bonne humeur !
Ce Pas de la Miséricorde là, pour un des accès à la Grande Sure, je vois bien de quoi tu parles… A croire que, d’après la désignation(mais je ne connais pas l’origine de cette appellation), ça se mérite!
Mais j’ai appris quelque chose sur l’astuce monastique…