Même pas peur ! Les grands-parents

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Même pas peur ! Les grands-parents

Quand on aime on ne compte pas. Même les 100 kilomètres, exonérés désormais des 135 euros. Trois mois, que nous attendons ce moment : se rendre enfin chez les enfants.
Nous déposons, dans l’ordre, nos chaussures sur le paillasson et le baba au rhum sur la table. L’inverse eût intrigué passablement notre gendre attentif à l’état de nos neurones post-confinés. Le voilà rassuré, surtout par le baba au rhum et son tourbillon de crème chantilly.
Notre fille demeure silencieuse sur cette période difficile à l’hôpital. Réserve toute professionnelle des gens exerçant en première ligne : urgentistes, soignants, sapeurs pompiers, ambulanciers. « Ceux qui ont fait la guerre, ne la racontent pas » disait le grand-père. Les causeurs patentés s’en chargeront. Aussi inquiétants et contagieux que le virus, ils vont nous distiller en boucle une peur de sidération propice à un comportement de soumission. On apprendra certainement -notre orgueil national dût-il en prendre un coup- qu’il y avait peut-être quelques bémols à envisager dans certaines mesures décrétées draconiennes chez nous, et jugées moins indispensables ailleurs, pour un résultat tout aussi probant. Discrètement, ma femme me fait signe que nous sommes à table : il est vrai que depuis le 17 mars j’ai la rate qui se contracte un peu plus vite qu’à l’ordinaire !
Au moment de notre départ, notre petit-fils nous a demandé, en aparté et avec une inquiétude appuyée : à partir de quel âge on était vieux… Il a dû entendre ça quelque part, et les images de l’abandon de nos Ehpad ont pu passer par là. Nous l’avons vite rassuré. Souviens-toi, mon petit : « Lâge qu’on veut avoir, gâte celui qu’on a ».
Alors, à très bientôt, et surtout, ne grandis pas trop vite.
Sur le paillasson nos chaussures. Le baba au rhum, lui, avait pris ses distances…

Photo : mouettes ivoires en Nouvelle Zemble, Russie © Samuel Blanc

  1. Cela me rappelle mon voisin d’enfance, un « poilu » qui avait fait Verdun, et qui comme ton grand-père ne racontait pas son histoire. Pourtant c’était l’histoire vraie. Notre brave instituteur avait essayé de nous envoyer pour le faire témoigner, nous n’avions eu droit qu’ à quelques sourires, et à voir les séquelles d’éclats d’obus sur la jambe, qui l’avaient rendu boiteux, mais sans commentaires!
    Une réflexion à propos de l’âge qui m’inspire: »le passé, il faut l’assumer, l’avenir le préparer, et le présent le vivre. »

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